
Photographie de Tui Anandi
Le Pérou fait figure d’exemple en termes de revitalisation des langues maternelles. Très souvent, ce sont les femmes qui l’enseignent à leurs enfants. D’autres en ont fait leur vocation, dans une volonté d’émancipation personnelle et collective, c’est le cas de Lidia Gonzales, aujourd’hui au Ministère de l’éducation.
A l’encontre du schéma patriarcal
Lidia Gonzales a grandi à Roaboya, une petite communauté shipibo au Nord de Pucallpa, dans la forêt amazonienne. Enfant, elle est bonne élève mais une fois terminée l’école primaire, ses parents lui annoncent qu’elle ne pourra pas continuer sa scolarité, par manque de moyens financiers. Destinée à se marier et à former un foyer comme le veut la tradition, Lidia refuse, et aidée par ses professeurs, elle parvient à poursuivre l’école en finançant ses études. Elle veut devenir institutrice. Dans une culture shipibo très patriarcale, les femmes sont traditionnellement restreintes à la cuisine et au foyer. S’ensuit donc un long combat, aux nombreux obstacles : malgré des résultats scolaires excellents, on ne cesse de lui répéter qu’elle n’y parviendra pas. Elle est alors l’une des seules femmes shipibo à étudier. En 1973, Lidia Gonzales commence à travailler comme professeure dans les écoles bilingues indigènes shipibos et exerce pendant 11 ans à Paoyhan.
Un combat pour la reconnaissance et la fierté de la culture shipibo
Lorsqu’on l’interroge sur les raisons d’une telle vocation, la réponse de Lidia Gonzales est claire : « être professeure représente un engagement pour ma communauté ». Ecoles éloignées des villages, manque de matériel pédagogique, absence d’université, professeurs peu qualifiés : « mon objectif est de faire progresser ma communauté car nous avons eu moins d’opportunités que les monolingues ». C’est ainsi que Lidia Gonzales s’est consacrée à l’éducation interculturelle bilingue, pour donner toutes leurs chances aux enfants shipibos de sa communauté : « J’ai mis toute mon énergie pour contribuer à ce que cette nécessité soit réalité ». Pour y parvenir, elle a du lutter contre les préjugés des siens, et notamment des pères de famille, persuadés que la meilleure instruction pour leurs enfants devait se faire en espagnol. Décoloniser les esprits, retrouver une fierté à parler sa langue, tout en permettant aux élèves de s’intégrer à la société contemporaine, c’est ce qu’implique la profession de professeur bilingue.
Longtemps formatrice d’instituteurs-rices bilingues, Lidia Gonzales a consacré sa vie à créer du matériel pédagogique en langue shipibo. Outil d’autodétermination et d’émancipation, c’est ainsi qu’elle a toujours considéré sa langue maternelle. Aujourd’hui encore, elle se bat pour revendiquer son identité et ses racines au sein du Ministère de l’éducation où elle coordonne les programmes d’éducation interculturelle bilingue.
Marion Fichet