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EPISODE 9 : LES CADEAUX DU MALHEUR SONT AUJOURD’HUI L’AVENIR DU RWANDA

C’est une quête au nom de la dignité pour tous ces enfants nés de viols. Ces enfants appelés « cadeau du malheur » seraient entre deux et trois mille. Ils ont au­jourd’hui 25 ans et pas d’autre choix que de vivre avec cet héritage empoisonné. Comment grandir quand on est, malgré soi, le rappel vivant de la barbarie ? Les relations ont été très difficiles jusqu’au jour où Ancille s’est rendue au parcours thérapeutique et au «Club de la Paix», un groupe de soutien que les femmes de Sevota ont créé pour ces enfants. Elle a enfin mis des mots sur sa souffrance et a pu exorciser, en partie, ses fantômes. Peu à peu, elles ont pu tisser un lien filial, un lien d’amour, car la vie est plus forte que la sauvagerie.

Voici le témoignage d’ Ancille, la fille de Vestine.

Ma maman m’insultait et me disait que j’avais un père génocidaire

Quand j’entendais que j’étais une génocidaire, j’étais en colère et j’étais méchante. Je la frappais de toutes mes forces. C’est ainsi que je vivais. En plus on me répétait qu’elle était une personne méchante. Je reportais toute ma méchanceté à ma mère. Je me souviens, quand je partais puiser de l’eau, les membres de la famille de mon papa me disaient : “Ta maman est méchante, elle te hait il faut l’abandonner et venir vivre avec nous”. Je revenais et je demandais à maman : “Est-ce que c’est vrai que tu es méchante, que je dois te quitter et partir vivre avec les gens qui ne sont pas méchants?” Je finissais par les croire et devenais à mon tour encore plus méchante. Et je la battais.

Mais quand elle m’a raconté son histoire, ça m’a apaisé. Je me suis sentie proche d’elle. J’ai commencé à la comprendre et quand elle me demandait de faire quelque chose, je le faisais avec amour et joie. Je me disais : « quand je vais revenir ma mère ne va plus me dire que je suis un milicien ».

C’est aussi grâce à Mama Godelieve, c’est elle qui nous a réconciliées , elle m’a encouragée à comprendre. Et quand ma mère m’a révélé la vérité sur mon origine, nous étions ensemble. Elle m’encourageait à me lier avec ma mère. Elle est comme ma grand- mère et me conseille encore aujourd’hui. 

Tous les 5 de chaque mois nous nous rencontrons et une fois par an le 19 novembre, tous les enfants se retrouvent. C’est important ce temps d’échange et de partage.

Aujourd’hui si on raconte des méchancetés sur ma maman, cela ne m’affecte pas. Si on dit de moi que je suis née d’un génocidaire ou que je suis née de quoi que ce soit … même d’un arbre ou de je ne sais quoi, ça ne me touche absolument pas. 

Je souhaiterais remercier ma maman de m’avoir bien élevée. Grâce à la bonne éducation que j’ai reçue, j’ai pu suivre des études à l’université, aujourd’hui je suis mariée et j’ai une petite fille. Je suis heureuse.”

Ces enfants sont beaux, ils sont beaux… Ce sont des enfants comme les autres.… ils sont très beaux, ils sont dignes du Rwanda..”

Cette  chanson est devenue un hymne repris en choeur par les enfants du Rwanda dans les écoles où depuis 1996, l’enseignement du génocide est entré dans les programmes scolaires. Mais il aura fallu une génération pour que le pays se réconcilie et vive en paix, du moins en apparence.

L’heure est encore à la reconstruction pour ces femmes et ces jeunes victimes du génocide. La “parole qui a tué” est toujours aussi salvatrice.  Elle  est devenue un outil d’éducation mémoriel et de transmission pour les nouvelles générations.  Elle a aussi valeur d’exemple dans le monde pour comprendre et transmettre l’histoire du génocide.

Dans quelques mois, de nouvelles paroles seront mises en ligne.

Un grand merci à l’association En Terre Indigène et  Sevota d’avoir soutenu ce carnet de restitution en organisant ces ateliers de parole au Rwanda en Juillet 2019 et Mars 2020.

Photo Chris Schwagga

Anne Pastor

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En terre indigène