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Episode 11 : Priscilla, se reconstruire en tant qu’orpheline

Godelieve est notre maman parce que pendant le génocide nous sommes restés sans parents.

Priscilla est la soeur d’Agnès. Elle agricultrice dans le village de Buguri. Mariée à un hutu, elle a trois enfants. Elle représente le symbole de la réconciliation. Priscilla a suivi le programme des orphelins “Watchounamaoro” (ce qui veut dire paix chez nous) de Sevota qui les soutient aussi économiquement en leur donnant du bétail et en participant à l’éducation des enfants. Mais le soutien le plus important est affectif. Sevota est leur famille. Priscilla continue à se rendre régulièrement aux réunions de Sevota où elle est responsable du groupe de danse.

Moi j’étais dans le groupe qui était recherché pendant le génocide, j’étais marginalisée.

Je m’appelle Priscilla Niyonshuti. Pendant le génocide j’avais 8 ans. J’étais petite mais j’ai vu ce qui s’est passé, j’ai vu les gens mourir et j’ai assisté au meurtre de mes propres parents. Je ne sais pas comment j’ai pu en réchapper. J’ai continué à vivoter tant bien que mal, dans la tristesse et la pauvreté, une vie de chagrin et de pleurs.

Sevota est venu après le génocide, nous étions des petits enfants, nous ne savions pas où aller, nous n’avions plus de parents.

Quand l’association SEVOTA est arrivée, les grandes mamans ont pensé à nous, les petits orphelins sans famille et sont venues nous rassembler et s’occuper de nous. Des années plus tard, nous voilà au sein de cette nouvelle famille. Avant, notre existence était très triste, morbide. L’homme avec qui je vivais était d’une ethnie différente, nous étions marginalisés des deux côtés. Chez lui j’étais incomprise et chez moi, il n’était pas bien accueilli non plus. Heureusement, Maman Godelieve nous a bien guidés.

Quand Godelieve a décidé de nous aider, cette nouvelle a provoqué en nous l’effet d’une explosion de joie, nous avons retrouvé l’espoir et la chance de vivre sous la protection d’un parent.

Je me souviendrais toujours du jour où ces mamans sont arrivées chez nous avec des cadeaux, des boissons et de la nourriture. Mon cœur a retrouvé la paix et l’amour des autres. Nous avons dansé de bonheur.

Jusqu’à aujourd’hui, je peux affirmer que la vie est meilleure qu’avant. Je produis du manioc et des bananes dans mon champ, SEVOTA nous a offert des formations pour subvenir à nos besoins de base, lutter contre les souffrances post-traumatiques qui nous emprisonnent dans des idées sombres de mort, alors que nous sommes en vie et que nous pouvons relever la tête. Nous avons appris que la mémoire des nôtres est un travail permanent et un devoir. Mais qu’il faut en plus s’accrocher à la vie, se sortir de la pauvreté, manger à sa faim.

Le traumatisme revient souvent pendant les périodes de commémoration du génocide. Heureusement Sevota nous soutient pendant ces jours de déprime, car vous savez à ce moment nous sommes dans l’incapacité de travailler.

De même lors des accouchements, je me retrouve comme une fille qui n’aurait pas sa propre mère pour l’aider dans les couches et la soutenir. Mon mari est lui aussi orphelin et nous sommes livrés à nous mêmes.​ M​ais Sevota nous rend visite. C’était à chaque fois une grande fête.

Sevota a une grande place dans notre vie, nous nous reconstruisons grâce à Sevota.

C’est comme un espace de vie communautaire et d’entraide. Le souci des orphelins est d’abord la pauvreté et un gros manque de moyens. Ici nous partageons nos soucis et retrouvons le goût de vivre ensemble.

Nous avons 3 enfants, 2 filles et un garçon. La fille aînée a 12 ans, le garçon a 8 ans et la cadette 4 ans. Devenir parents, c’est un nouvel élan de vie pour nous. Ces enfants sont des branches de notre arbre généalogique. C’est une renaissance de nos familles, parce que nous avons perdu nos parents. C’est un espoir pour nous de savoir que si un malheur arrive, nos enfants vont rester et avoir aussi leurs propres enfants.

Avant, mes enfants se posaient des questions, en voyant les enfants des voisins partir en vacances chez leurs grands-parents. Et ils demandaient pourquoi eux ne rendent pas visite à leur pépé et mémé. Je leur ai raconté que le génocide les a emportés. Mais ils étaient trop petits pour comprendre l’ampleur du mot ‘génocide’. J’ai mis du temps à leur enseigner l’histoire de leur famille, à leur faire visiter les endroits où vécurent leur grand-père, grand-mère, et à leur expliquer comment ils sont morts assassinés.

Je me revois encore leur dire qu’ils ont été tués à coups de machette.

Les enfants ont fini par comprendre mais ils sont heureux de savoir que Godelieve est leur mamie.

Ma fille le sait. Pendant les commémorations elle entendait des témoignages, racontant comment nous étions désignés nous les tutsis avec des noms d’animaux et elle me demandait comment des humains peuvent-ils être traités de serpents?

Je la rassurais en lui répétant que c’ était le fruit de mauvaise propagande et de la politique de division et que tout est maintenant derrière nous et que personne ne pourrait plus tuer son voisin pour des raisons ethniques.

Nous vivons dans un nouveau Rwanda, ​il n’y aura désormais plus jamais un autre génocide. Le pays est bien gouverné et nous sommes sensibilisés à vivre ensemble selon des valeurs culturelles.

Le fait d’être à SEVOTA, d’ avoir cet espace d’expression et de liberté, où nous pouvons nous défouler, parler, rire et danser, sont des résultats de la bonne gouvernance.

Nous sommes avant tout des Rwandais. Quiconque tenterait de nous diviser avec des idéologies dangereuses, tomberait sous le coup de la loi. Nous sommes donc confiants dans l’avenir du pays. Une nouvelle génération fréquente de bonnes écoles et apprend à être de très bons citoyens éduqués et de bons patriotes.

La vie continue tant qu’il y a de l’espoir.

Crédit : Chris Schwagga

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