';
EPISODE 8 : COMMENT AIMER UN ENFANT QUI VOUS RAPPELLE LA BARBARIE ?

Je devais la garder parce qu’il y a un proverbe rwandais qui dit : “Même si une vache met bas un veau pourri, elle le lèche”.

C’est une quête au nom de la dignité pour tous ces enfants nés de viols. Ces enfants appelés « cadeau du malheur » seraient entre deux et trois mille. Les relations ont été très difficiles pour Vestine et sa fille Ancille jusqu’au jour où Vestine est venue au forum Abiyubaka destiné aux femmes qui ont des enfants nés d’un viol. Elle a pu enfin révéler la vérité sur sa conception à sa fille. Peu à peu, elles ont pu tisser un lien filial, un lien d’amour, car la vie est plus forte que la sauvagerie.

Voici son témoignage

“Je m’appelle Mukasekuru Vestine

Tout d’abord, vous allez voir mes blessures. Sur ma jambe ce sont les cicatrices des coups de machette reçus par le soit-disant père de ma fille qui a tué mes parents sous mes yeux alors que j’étais enceinte de lui. J’étais l’aînée de la famille et cette blessure reste en moi.

La deuxième blessure jusqu’à aujourd’hui c’est que je suis un problème dans ma famille. Je suis considérée comme une ennemie irréconciliable.

Il y a une très mauvaise entente entre nous et en particulier avec ma soeur. Ils n’acceptent pas cet enfant.

Ma fille Ancille est née en 1995 et je lui ai dit la vérité sur son origine quand elle avait plus de 10 ans en 2007.

Avant que je ne reçoive des conseils de Sevota, il y avait beaucoup de violences familiales. Même après le viol j’ai été battue et j’ai reçu beaucoup de coups de bâtons à cause de cet enfant. Je la cachais même et quand ma famille arrivait, elle la cherchait et si elle ne la trouvait pas elle me battait.

C’était difficile, je ne l’aimais pas et je ne voyais que l’image de son père génocidaire. Je la considérais comme les autres personnes. Il y avait tant de haine envers elle que toutes les familles la haïssaient. Elle aussi a des blessures. Ces égratignures noires sur son corps c’est sa tante qui la piétinait et menaçait de la découper en morceaux et de la jeter dans la rivière si jamais elle dépassait les limites.

Mais je n’avais pas encore reçu les conseils pour bien l’aimer et l’accueillir. Je ne pensais pas que je pourrai trouver une écoute aussi attentive et bienveillante. Je me souviens des premières réunions, nous avons commencé par pleurer et re-pleurer et à la fin lorsque nous n’avions plus de pleurs, elles étaient là à nous consoler et nous aider. Nous n’avions plus peur de nous exprimer. Et quand elles ont vu les blessures provenant des coups de cette enfant SEVOTA a fait un important travail, cet enfant avait le mauvais sang de son père, elle m’insultait, elle me jetait des cailloux et de retour je la nommais mauvaise race, oui je l’appelais ‘milicien’.

C’est pour cette raison que j’accorde une grande considération au travail de l’organisation SEVOTA. Elle nous a réunis en 2006 et nous a montré comment nous devions aimer nos enfants comme les autres enfants et nous a fait comprendre qu’ils n’étaient pas la cause de notre malheur. Nous avons même inventé une chanson pour leur dire qu’ils sont beaux.

Puis ils nous ont conseillé de leur dire la vérité aux enfants, que la situation a changé. Les enfants ont compris et ont commencé à nous aimer. Et je l’ai enfin accepté et quand quelqu’un me disait qu’elle était le fruit du péché, je lui répondais qu‘elle ne l’était plus.

Aujourd’hui, je suis très fière d’elle, elle est même allée à l’université”

Photographie © Chris Schwagga

Dans le prochain épisode : les cadeaux du malheur

Anne Pastor

Comments
Share
En terre indigène