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EPISODE 4 : LE PORTRAIT DE MAHINA


Mahina, 42 ans, est accueillie au centre Pu o te Hau avec sa fille de 11 ans.

J’avais entendu parler de ce centre mais je savais qu’il n’y avait pas beaucoup de places, alors j’ai attendu jusqu’au jour où la responsable m’a appelée pour intégrer le centre. J’ai dit à ma fille: “ouf, c’est un grand soulagement, nous allons être en sécurité là bas”. C’était ce que je souhaitais : trouver le calme, la paix surtout. 

En tahitien le nom est  Pu O Te Hau signifie un havre de paix. Ce lieu est vraiment un havre de paix, les barreaux aux fenêtres nous protègent et toutes les personnes sont bienveillantes.C’est ce que j’ai ressenti le premier jour. 


On aurait dit qu’on oubliait toutes les mauvaises choses qui nous sont arrivées.

Le déclic, c’est quand j’ai entendu ma fille crier “non tu ne vas pas mourir maman, il faut que ça s’arrête et que tu penses à moi maman. Je suis là et je t’aime très fort maman”.

Il y a un mois, j’ai frôlé la mort sous les coups de mon tané. Dans ma tête, j’ai encore trop mal pour vous raconter toute l’histoire mais j’ai compris qu’il fallait protéger mon enfant de 11 ans. Elle a déjà beaucoup changé, depuis que nous sommes arrivées il y a trois jours.

Ma fille est géniale. C’est elle qui a rangé  toutes nos affaires à ma place. Moi je ne faisais rien parce que j’étais encore dans ma bulle de douleur. Elle me disait “tu es fatiguée, va dormir maman, tu en as besoin !” On aurait dit qu’elle me surveillait, qu’elle me protégeait.  C’est comme si elle était  la maman et moi la petite fille; mais je vais pas abandonner mon rôle de maman parce qu’il faut aussi que toutes les deux on reste soudées.

Ce centre est une chance aussi car dans ces situations, Il vaut mieux se retirer de sa famille et aller dans un centre pour se retrouver, se recentrer, surtout pour se reconstruire. Je ne regrette pas d’être là, je pense que j’ai fait le bon choix.


Il est vrai que quand on arrive dans le centre, la famille elle est déjà détruite. Mais il faut avancer.

Retourner en arrière pour moi n’est pas possible, il faut avancer, vivre en tant que femme battue et accepter tout ce qui nous est arrivé. Mais se reconstruire, ça prendra beaucoup beaucoup de temps…beaucoup de temps. 

Avec les autres femmes, on reprend goût à la vie. Quand on rigole, il y a vraiment cette joie qui jaillit entre nous. Il y a la tranquillité, et la paix entre nous. Ce que tu entends dans chaque chambre car toute femme battue, ou qui a subi beaucoup de violence, a besoin de paix, de silence pour se reconstruire.

Et puis le fait de pratiquer pas mal d’activités, nous permet de nous évader comme la cuisine, la couture. C’est un moment de partage, d’entraide avec nos enfants et on oublie tout le reste. Ces activités te permettent d’avancer et de chasser les mauvaises idées dans la tête. 


On se sent vraiment apaisée, tranquille, forte et on redouble de confiance en nous même. 

Pour moi l’objectif  c’est vraiment d’aller jusqu’au bout, par exemple de ma plainte. Et

les assistantes sociales me donnent du courage et me rappellent ce que je dois faire : “Attention, il y a ça, il y a ça. N’oubliez pas ceci.” Ils me font des rappels à chaque fois et c’est une bonne chose. On sait qu’on peut poser notre tête sur eux.

L’équipe est là pour nous aider à avancer, nous permettre de vivre mieux et d’oublier toute la douleur qui est en nous. 

C’est sûr qu’on oubliera jamais ce qui nous est arrivé, on a envie d’oublier toute cette douleur en nous qui est enfouie en nous mais ça prendra beaucoup de temps. A chaque séance avec la psychologue, il y a des pleurs, beaucoup de choses remontent à la surface et c’est très très douloureux. Mais il faut retrouver cette confiance, et garder ce courage de femme pour pouvoir avancer et vivre une autre vie.

Je sais qu’on aura pas une vie normale comme les autres femmes mais on va s’en reconstruire une autre grâce au centre. C’est pourquoi je m’y sens bien. J’ai pas mal de projets, je pense surtout à mon enfant. C’est un lieu idéal pour chaque femme battue qui peut être aidée et accompagnée par des professionnels.

Si ce lieu pouvait accueillir encore plus de femmes, ce serait formidable car elles sont souvent rejetées par leur famille. Et ici, elles peuvent se reconstruire et c’est un nouveau départ.


A suivre dans l’épisode 5 : Titaua Peu, le réveil des femmes polynésiennes

Crédit Photo : Danee Hazama

Avec le soutien d’Air Tahiti Nui

Anne Pastor

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