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Episode 10 : Agnès, se reconstruire après le génocide

Lors du génocide, mariée et enceinte, elle quitte sa famille pour fuir les miliciens. Elle part dans la brousse et un homme hutu la sauve. Elle ne retrouvera sa sœur Agnès que des mois plus tard et son sauveur quatre ans plus tard. Il deviendra son mari. Aujourd’hui les deux familles vivent dans le même village de Buguri. Elles ont reconstruit une famille. Elles ne se quittent plus, partagent les travaux des champs, l’éducation des enfants et animent les groupes de danse de Sevota. Surtout elles réapprennent à vivre en communauté et avec leurs voisins.

Lorsque les massacres ont débuté (Avril 1994), j’ai été ​happée ​dans cet enfer de la mort et seul Dieu sait comment je suis sortie vivante de la rivière, entourée des centaines de cadavres. J’en garde des séquelles jusqu’à aujourd’hui. J’ai tellement subi d’ horreurs pendant le génocide, c’est un miracle que je sois encore debout. Enceinte de huit mois, j’ai même pu accoucher sans soins ni médecin. L’enfant est arrivé dans ce monde en plein chaos, je l’ai élevé comme je pouvais.

C’est à cette période que j’ai rencontré Godelieve, en pleine instabilité. Nous vivions dans une peur permanente, la haine et la suspicion envers tous les voisins rwandais. Elle nous a aidés à retrouver la confiance, à retrouver la vie en communauté, à pardonner les uns les autres pour voir nos voisins (hutus) comme des membres d’une même famille. Bref, elle nous a mis sur le chemin de la guérison, les cœurs apaisés et décidés à retrouver un semblant de normalité.

Actuellement tout va mieux, je n’y croyais pas mais regardez-nous, nous vivons côte à côte et nos enfants jouent ensemble. Dieu merci ! Je ne pensais pas que nous allions encore avoir toutes ces nouvelles familles qui s’agrandissent, tellement le génocide sonnait la fin des nôtres (tutsis).

Nous avons été encouragés par les autorités à nous parler franchement et à nous pardonner. Ceux qui ont commis des méfaits se sont repentis devant nous et nous avons pu leur offrir le pardon et une chance de se réinsérer dans la société. Nous passons les fêtes et les deuils ensemble, nous sommes solidaires en cas de maladies ; la vie sociale a repris petit à petit.

Les blessures même les plus graves peuvent cicatriser. Nous avons subi des actes barbares et les séquelles sont restées dans nos corps, en plus avec l’âge, elles nous handicapent de plus en plus. Physiquement, nous sommes toujours affectés, mais quand personne ne nous fait replonger dans les traumatismes du génocide, nous pouvons avancer.

Il n’y a rien de plus apaisant que de recevoir un bonjour de la part d’une personne qui fut le meurtrier des nôtres​. C’est un geste fort qui nous touche positivement.

J’ai été gravement battue à coups de bâton ; mon dos était cassé, ils m’ont brisé les genoux et vous pouvez voir les cicatrices des blessures aux couteaux et des coups d’épée sur mon corps.

Ce sont les séquelles du génocide, mais nous avons fini par nous réconcilier avec nos voisins tueurs, essayant fatalement de nous dire que tout cela était le résultat d’une politique de la haine par de mauvais gouvernants.

C’est aussi un acte de la foi en Dieu. Il faut avoir le courage de pardonner. Sinon, ​tout ne vaut rien devant Dieu.

Heureusement, grâce à Sevota et aux exercices nous avons pu y arriver.

Au-delà de l’apport matériel, elle nous a redonné le goût de vivre ensemble, jusqu’à redécouvrir les fêtes, la danse et les rigolades entre nous. Elle nous a soudées.

Godelieve est proche de nous, elle nous défend et avec elle personne ne peut nous menacer.

Maintenant je remercie Dieu d’avoir pu reconstruire une famille. Après le génocide, je ne pensais pas que ce serait possible.

C’est mon mari qui m’a sauvé

Lorsque je fuyais les miliciens, je pensais que j’allais mourir parce qu’ils nous pourchassaient comme des bêtes. Ils venaient de tuer mon père, mon frère et ils avaient déjà tué mon premier enfant de 15 ans. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré celui qui allait devenir mon mari. J’étais comme un cadavre, j’avais perdu la tête et j’avais envie de mourir. Il m’a tendu la main, m’a soignée de mes plaies, il massait mes fractures mais je n’avais pas confiance en lui, car je ne voyais que la méchanceté des hommes. Il m’a prise dans ses bras et m’a emmené chez lui pour me soigner. Au bout de trois jours, j’ai senti que la vie revenait. Puis il m’a caché dans un fossé de quatre mètres, un four à briques, dans la brousse. Il y avait d’autres personnes. Il nous donnait à manger, il nous aidait même à nous changer en prenant les habits de ses sœurs. Mais avec tout ce que j’avais vécu je n’avais plus d’amour. Mais j’ai quand même vu qu’il était bon avec moi, vous savez ce ne sont pas tous les rwandais qui étaient méchants. Sinon personne n’aurait survécu.

Puis nous nous sommes séparés lorsque l’armée des Inkotanyi a lancé l’attaque pour déloger l’ancienne armée, le 16 juin 1994. Mais en 1999 nous nous sommes retrouvés et l’amour qu’il avait gardé pour moi était réciproque et nous nous sommes mariés.

Aujourd’hui j’ai 7 enfants et 9 petits enfants. C’est la famille que Dieu nous a accordée. Quand on a une famille élargie, on est calme, serein et tranquille.

Mon mari s’appelle Iyakaremye Augustin et nous habitons ensemble, dans la paix.

Je souhaiterais que mes enfants grandissent dans l’amour, nous demandons à Dieu de les aider et de continuer à vivre dans l’amour du prochain.

Je suis très contente, je me sens heureuse, et je sens que Dieu m’a donné une autre famille.

C’est lui qui a fait celle que je suis aujourd’hui.

A cette époque, j’étais diacre dans une église presbytérienne, en charge des orphelins et des veuves, j’essayais de suivre ma foi chrétienne et l’amour du prochaîn. J’avais déjà cette habitude d’aider les gens en détresse. Je ne partageais pas cette idéologie génocidaire parce que nous connaissons la parole de Dieu, il n’y a pas d’ethnies, nous sommes tous les ethnies de Dieu.

Pour moi, c’est l’œuvre de Satan ; il a voulu nous posséder mais Dieu m’a donné la force de le repousser, de lutter pour que cesse cette barbarie, que passent les mauvais démons.

En 1999, lorsque j’ai revu Agnès je lui ai déclaré mon amour et je lui ai juré de l’aider avec ses enfants et au travail des champs, puis nous avons décidé de nous unir pour la vie. Aujourd’hui encore, nous continuons à demander ​la force à Dieu, pour éviter que cette barbarie ne se reproduise .

Nous prions pour la sécurité du pays et qu’il soit bien dirigé pour nous protéger.

Je remercie beaucoup madame Godelieve et Sevota parce qu’elle a été proche de nous et nous a beaucoup aidés matériellement et psychologiquement.

Cette femme est un don de Dieu. Que Dieu les bénisse.

Agnès

Nous avons retrouvé cette joie grâce à Sevota et Godelieve est notre grande maman!

Nous avons une chanson qui dit : “​Sevota est une lampe qui nous guide et nous remercions notre grande maman d’avoir sauvé les veuves et les orphelins pour qu’ils sourient, vivent.”

Crédit : Chris Schwagga

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